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Hé, j’crois qu’j’ai besoin d’un peu d’air frais, d’une ballade en forêt

randoLa randonnée a été l’une des constantes de mes années collège. Séparé d’Aurélien (mon grand copain de primaire) par des choix linguistiques et une dérogation, la rando du dimanche matin qui avait lieu toutes les deux ou trois semaines et dont nos parents étaient les organisateurs nous permettaient de nous retrouver régulièrement. Bien souvent, on enchaînait par un bon repas chez l’un ou chez l’autre puis par l’une de nos fameuses aprems Lego-Renaud… Nous n’aurions loupé ça pour rien au monde, d’autant qu’on adorait être dehors. La préparation c’était toute une histoire, et la première chose que l’on faisait en se retrouvant au point de rendez-vous, c’était de comparer le contenu de nos fidèles sacoches-bananes (devenues à présent très has-been).

Le couteau suisse (avec un maximum de fonctions) ou l’opinel étaient évidement de la partie, suivis de près par une casquette, un paire de jumelles, quelques bonbons et tout un tas de bricoles qu’il nous semblait important de trimballer sur quinze kilomètres. Après avoir fait l’inventaire précis de notre stock, nous partions en tête de fil, discutant avec tous et taillant des bâtons en marchant. Au grand air, nous étions heureux et profitions de ces (trop) rares moments pour débattre de tout et de rien, et se raconter nos histoires d’amour et de révolte qui caractérisaient nos années collège puis lycée.  Ces balades en pleine nature étaient un peu comme de courtes pauses cassant le rythme effréné du quotidien, nous déconnectant de nos petits déboires d’ados et remplissant nos batteries pour les jours à venir.

Quand il m’arrive de me promener en forêt, j’ai toujours deux pensées qui trainent dans un coin de ma tête. La première, c’est que les premiers vers de Ballade en forêt de Tryo illustrent vraiment bien ces promenades d’adultes. La deuxième, c’est que tout ça me manque. Même si la vie nous aura progressivement éloignés d’eux et qu’on l’aura sûrement laissé faire, nos copains et nos souvenirs d’enfance, c’est ce qu’on racontera plus tard avec les yeux qui brillent à nos gamins. Et ces même gamins nous reprocheront sûrement de rabâcher toujours les mêmes histoires…

Hé, j’crois qu’j’ai besoin d’un peu d’air frais
D’une ballade en forêt, j’sais plus trop c’que j’fais
La vie use

Extrait de la chanson Ballade en forêt de Tryo
Photographie de icpa_fr (CC BY-NC 2.0)

Après-midi Lego-Renaud

Lego

La boule à zéro
Et la morve au nez
On n´était pas beau
Mais on s´en foutait
Le mercurochrome
Sur nos genoux pointus
C´était nos diplômes
D´l´école de la rue
Le seul vrai enfer
Qu´on avait sur terre
Il était dans l´ciel
De nos pauvres marelles
On avait dix ans
Pis on ignorait
Qu´un jour on s´rait grands
Pis qu´on mourirait

Retombé récemment sur cette chanson que j’adorais gamin et que je n’avais pas réécouté depuis des lustres, je me suis dit que c’était l’occasion d’écrire quelques lignes sur Renaud d’abord et sur des souvenirs d’enfance…

Un cédé de Renaud dans la chaîne hifi, une caisse de Lego renversée sur le sol de la chambre d’Aurélien ou de Simon, et l’un d’entre eux, heureux comme tout de donner le top départ de l’une de nos régulières après-midis passées à construire vaisseaux, forteresses imprenables et véhicules futuristes en tous genres. C’est sûrement le souvenir que je décrirai en premier si l’on me demandait de parler des petits plaisirs de mon enfance (en seconde place arriveront quelques années plus tard les balades en vélo et virées dans la décharge sauvage qui était derrière chez moi). De telles après-midi ont été nombreuses, avant le traditionnel goûter pain de mie grillé/Nutella chez Simon, ou après une longue rando chez Aurélien. Assemblant, mixant et améliorant sans complexe nos meilleures constructions pour donner des petits chefs-d’œuvre d’ingéniosité et alimentant nos débats sur l’ajout de telle pièce ou sur l’utilité stratégique de telle porte en cas d’affrontements avec d’hypothétiques ennemis, nous nous sentions invincibles, tout-puissants, à manipuler les reproductions miniatures de nos vies fantasmées d’adultes.

Renaud en toile de fond de nos élans créatifs, c’était d’abord notre manière à nous d’apprendre des gros mots, mais pour moi ce fût surtout l’occasion de sortir de ma bulle d’enfant et d’interroger pour la première fois mes parents sur tout ce que je ne comprenais pas bien à l’époque : intolérance, racisme, inégalité… Autant dire qu’en réécoutant ces albums bien plus tard, je découvris qu’il y avait beaucoup plus à entendre et que je ne comprenais pas les textes comme un adulte le pouvait. L’agréable surprise, c’est qu’en plus des valeurs que Renaud défend dans ces textes, j’en avais tiré un vrai besoin d’écrire, un cynisme assez prononcé et la raison pour laquelle cette chanson me plait tellement : l’envie de ne pas complétement oublier cet enfant qui reste toujours planqué quelque part en nous. Ce côté enfantin, qui nous supplie de ne pas complétement perdre notre naïveté, qui aime s’amuser, créer et vivre pleinement, je ne l’avais vraiment pas perdu, mais Valentine l’a ravivé,  et tout est beaucoup plus vrai depuis, chaque instant semble plus simple, loin des raisonnements alambiqués des grands…

Extrait de la chanson Le sirop de la rue de Renaud Séchan.
Photographie de Tim Ellis (CC BY-NC 2.0).